Depuis les années 1990, la gestion des déchets solides est une problématique majeure pour les autorités publiques. Si la plupart des États ont réussi à mettre en place une politique nationale permettant une collecte et un traitement efficaces des déchets solides, la crise des déchets au Liban de 2015 a mis en lumière une politique défaillante en la matière depuis les années 1990. En 2017, Human Rights Watch a publié un rapport détaillant les pratiques de traitement des déchets et leurs impacts sur la santé.
Contexte légal et politique
Depuis 1988, le gouvernement libanais a mis en place différentes mesures légales afin d’encadrer le traitement des déchets solides. À titre d’exemple, depuis cette date il est interdit de produire des déchets toxiques sans prendre de disposition pour leurs traitements. Par ailleurs, depuis 2018, il est interdit de brûler ses déchets solides sous peine d’emprisonnement. Or, les autorités ne sont peu intéressées à l’application concrète de ces lois. En 2014, le ministère de l’environnement a présenté une stratégie de gestion des déchets sur 25 ans mais qui n’a pas été approuvée par le reste du gouvernement. Bien que le Liban ait signé différentes conventions internationales qui imposent notamment le droit à la santé et la prise de mesure concernant l’élimination ou la réduction des polluants, la situation est telle que les citoyens souffrent aujourd’hui de nombreuses pathologies liées au manque d’application de ces lois.
Un décret de 1974 donnait la responsabilité de la gestion des déchets solides aux municipalités locales. Cependant, celles-ci dépendent essentiellement des financements octroyés par le gouvernement. Or, depuis les années 90, la guerre civile a contraint le gouvernement à réorienter les fonds vers d’autres secteurs liés au conflit. Ainsi, les efforts gouvernementaux en matière de gestion de déchets se sont principalement concentrés dans les régions de Beyrouth et du Mont Liban, là où près de 50% de la population vit et où sont concentrées la majeure partie des richesses. Les autres régions et municipalités sont livrées à elles-mêmes et manquent de moyens et de structures afin de développer une politique durable et efficace de gestion des déchets. D’après le SWEEP-Net, en 2014, le Liban avait généré plus de 2,04 millions de tonnes de déchets solides. Ces déchets sont stockés dans des décharges publiques ouvertes. Lorsqu’une décharge est saturée, les politiques publiques tendent à les agrandir. Cependant, il vient un moment où l’agrandissement n’est plus possible, c’est alors que les déchets sont simplement brûlés, causant divers troubles aux populations voisines.
La mauvaise gestion des déchets au Liban est causée par plusieurs facteurs. Premièrement, depuis 1974, la compétence en matière de gestion de déchets revient aux municipalités locales. Or, ne pouvant assumer cette charge à elles-seules, elles doivent déléguer auprès d’entreprises privées. En l’espèce, depuis 1997, le groupe Averda (ex-Sukleen) avait le monopole sur la collecte et le traitement de déchets du Grand Beyrouth. Cependant, cette entreprise est accusée d’être proche du gouvernement et de détourner les fonds. En conséquence, les habitants de Beyrouth ont lancé diverses manifestations afin de lutter contre l’accumulation des déchets dans leur ville. Cependant, les politiques publiques n’ont guère avancé bien que l’entreprise ait perdu ses contrats. Deuxièmement, le gouvernement libanais est aux proies d’une instabilité paralysante depuis plusieurs décennies. Déchiré entre les sunnites et les chiites, le gouvernement peine à s’établir et fait face aux différentes crises économiques et sociales dont il est autant la cause que la conséquence. Face à la corruption, aux vagues d’immigration et aux séquelles de 15 ans de guerre civile, la priorité n’est pas au traitement des déchets, bien que cela coûte une véritable fortune au contribuable. En effet, en 2010, le ministère de l’environnement libanais avait estimé que le coût des dégradations environnementales causées par les décharges s’élevait à 10 millions de dollars américains par an et augmentait chaque année.
Conséquences sur l’environnement
Que ce soit au Liban ou dans une autre partie du globe, tout déchet qui n’est pas collecté et stocké de manière adéquate a un impact désastreux sur l’environnement. En se décomposant, des particules se libèrent et polluent les sols, les eaux et l’air. Or, certains matériaux ont des durées de vie particulièrement importantes. Par exemple :
- Plastique : 100 – 1 000 ans
- Polystyrène : 1 000 ans
- Verre : 4 000 ans
En outre, les dégâts causés par ces particules ne concernent pas seulement leur durée de vie. En effet, l’un des enjeux majeurs de la gestion des déchets est le risque d’incendies spontanés. Ce risque augmente drastiquement à cause des particules libérées dans l’air mais également de feux couvants causés par l’auto-échauffement de certains déchets à la suite d’une réaction chimique. De même, en se décomposant les déchets peuvent infiltrer les nappes phréatiques, les mers et les rivières. La qualité de l’eau s’en trouve gravement endommagée. Certaines nappes se retrouvent contaminées par des germes pathogènes ou des matières nocives. Ces contaminations ont aussi un impact sur les sols des zones proches des décharges qui deviennent alors beaucoup plus acides et sont contaminées de la même manière que l’eau. Ainsi, une mauvaise gestion des déchets cause des dégâts tant sur la faune et la flore que sur les citoyens.
Conséquences sur la santé
Le système de décharge ne crée pas qu’une dégradation des paysages, il est également nuisible pour les habitants. La décomposition des déchets libère des gaz toxiques comme le méthane et les métaux lourds infestent les sols et les réservoirs d’eau. La pratique régulière de l’incinération des déchets est évidemment une autre source de dégâts majeurs pour la santé des habitants. À titre d’exemple, la combustion de PVC entraîne une libération d’acide chlorhydrique dans l’air. De même, toutes les substances ne sont pas détruites par le feu et les cendres sont sources de contaminations (sols, eaux, air).
D’après une étude menée par Human Rights Watch, les habitants se plaignent de maladies respiratoires et de problèmes de peau. De même, pour les foyers proches des décharges, les familles se plaignent d’une réduction de leur qualité de vie, notamment de troubles du sommeil causés par les fumées. Certains témoignent de la nécessité de se déplacer dans d’autres régions tandis que d’autres évoquent également la nécessité de porter un masque en permanence, y compris à l’intérieur de leur maison.
Enfin, on ne compte plus les études menées sur l’impact de l’incinération des déchets sur la santé qui démontrent la dangerosité de cette pratique. Cela inclut les maladies cardiaques, les cancers, les maladies de la peau, l’asthme et autres maladies respiratoires. L’une des particularités du Liban est, qu’outre l’inhalation de particules toxiques, il est nécessaire de prendre en considération les déchets médicaux et dangereux (explosifs, comburants, métaux lourds…) qui sont traités de la même manière que les autres déchets. Selon l’Agence Américaine de Protection de l’Environnement, l’incinération à l’air libre de déchets solides peut augmenter le risque de maladies cardiaques, aggraver les affections respiratoires telles que l’asthme et l’emphysème, et provoquer des éruptions cutanées, des nausées ou des maux de tête chez les personnes exposées. Elle note que l’incinération des déchets « est particulièrement dangereuse car elle libère des polluants au niveau du sol, où ils sont plus facilement inhalés ou incorporés dans la chaîne alimentaire ».
Dans ce contexte, TPSF a choisi d’œuvrer avec ses partenaires locaux afin d’aider les municipalités locales à traiter adéquatement leurs déchets et permettre à leurs habitants de retrouver des conditions de vie saines.
Blandine Rollet
Sources :
- Human Rights Watch
- Banque Mondiale
- Nations Unies