Le fondateur de la marque Patagonia, Yvon Chouinard, célèbre pour son engagement en faveur de l’environnement, a annoncé le 14 septembre 2022 son souhait de léguer son entreprise à un trust qui reversera l’entièreté des bénéfices de la marque à des ONG de défense de l’environnement. Si cette nouvelle n’est pas étonnante venant de cette figure de la défense de l’environnement, elle est néanmoins très surprenante pour un dirigeant d’une entreprise cotée en bourse et dont les bénéfices s’affichent en milliards de dollars. Cette annonce a fait beaucoup de bruit dans les médias et la société civile, questionnant ainsi l’urgence écologique et le rôle des entreprises dans cette crise internationale : amis ou ennemis du sort de notre planète ?
Depuis plus d’une dizaine d’années, les ONG sont régulièrement présentes au cœur de l’actualité par leur rôle ou leurs prises de positions. Publiquement reconnues, sollicitées et soutenues, elles sont devenues des acteurs incontournables de la politique internationale. L’engouement pour les ONG est pourtant un phénomène récent, et avec l’augmentation exponentielle de leur nombre, ces structures doivent faire face à de nouveaux défis en lien avec leur rayonnement.
L’apparition des premières ONG
Pour comprendre la trajectoire des ONG, il faut revenir à leur origine. British and Foreign Anti-Slavery Society est la première structure significative dont on a la trace. Elle a été créée en 1839 en Angleterre par un groupe d’abolitionnistes qui, par la création de cette association, voyaient un moyen d’appuyer leur idéologie et de transmettre leur message.
À cette époque, le rôle de ces organismes est souvent celui d’un observateur ou d’un négociateur. Les organismes font entendre leur voix par des publications, du lobbyisme ou des manifestations en tout genre. L’action ou plutôt l’intervention sont laissées aux institutions religieuses et militaires. Les religieux se rendent sur le terrain pour apporter de l’aide, un encadrement ou un soutien aux différentes communautés dans le monde. En parallèle, une activité prosélyte s’installe dans ces territoires. Les militaires sont la deuxième face de cette pièce, ils ont un rôle autoproclamé de vecteur de la paix. Les thématiques d’interventions sont réduites et la contrepartie, assumée ou non, impose une hiérarchie dégradante pour les populations. C’est ce que l’on peut observer dans les périodes de colonisation par exemple. Le lobbyisme se fait en métropole ou les centres urbains et les religieux et militaires sont présents sur le terrain.
Une trajectoire en dents de scie
Les ONG n’ont cessé de se multiplier au siècle suivant. En 1900, elles étaient au nombre de 163 dans le monde. En 1945, il y en avait plus de 1000. En 2007, il y en avait plus de 60 000. L’augmentation du nombre de structures est à mettre en relation avec l’extension des domaines d’activités et des zones d’interventions.
Malgré ces chiffres, il faut néanmoins souligner des périodes de ralentissement et des périodes d’intensification de leur activité. En effet, lors des périodes de conflits ou de crise économique, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les ONG voient leurs activités fortement ralentir. Ces périodes tendent à mobiliser un grand nombre de personnes, d’activités et de capitaux qui ne peuvent pas être investis dans ces organismes. Les structures les plus petites ou les moins économiquement stables sont donc contraintes d’arrêter ou réduire leurs activités. De la même manière, les périodes de prospérité économique et d’évolutions technologiques stimulent fortement ces organismes qui arrivent à grandir de manière exponentielle. Après la seconde guerre mondiale, dans un contexte de guerre froide entre l’URSS et l’Occident, il y eut un engouement sans précédent pour les grandes causes mondiales comme la faim, soutenue par une embellie économique et des progrès technologiques sans précédents. Les associations en lien avec les fondations, les universités et les organisations internationales sont déployées sur le terrain pour intervenir au plus près des populations. C’est à cette époque que les plus importantes associations françaises ou internationales voient le jour : Amnesty International en 1961, Médecins Sans Frontières en 1971 ou Action contre la Faim en 1979.
Un organe clé du développement des ONG est l’Organisation des Nations Unis (ONU). L’ONU n’est pas un gouvernement mondial mais soutient les États dans l’application du droit national et international. L’ONU est construit autour de 4 objectifs : maintenir la paix et la sécurité, développer des relations amicales entre États, mettre en œuvre une coopération internationale et harmoniser les efforts des nations vers un objectif commun. Les ONG ont un rôle de premier plan pour atteindre ces objectifs. Certaines ont même un rôle d’observateur ou de consultant.
Une nouvelle définition des ONG au 21ème siècle
Aujourd’hui, fortes de leurs succès, les ONG prennent une place importante sur la scène internationale de la géopolitique. L’urgence de la crise climatique a aussi permis de valoriser le travail de celles-ci à la fois en tant qu’acteur du changement, de la préservation, de la reconstruction mais aussi en tant que lanceur d’alerte.
Ainsi, les entreprises se tournent de plus en plus vers ces structures. En France, grâce à de nouvelles législations, les ONG accueillent des membres séniors d’entreprises afin de faire une transition avec leur départ en retraite. Les entreprises bénéficient d’importants crédits d’impôts lorsqu’elles font des dons à des associations. Les liens entre l’associatif et le privé sont encouragés. Cela est à mettre en lien avec une volonté de professionnaliser les ONG au niveau mondial. S’appuyant de moins en moins sur le bénévolat, les ONG misent sur la création d’emplois pour stabiliser leurs structures et apporter davantage de compétences. De nombreuses personnes se tournent aujourd’hui, en réponse à la crise du covid et aux événements mondiaux, vers le milieu associatif afin de donner plus de sens à leur travail.
Néanmoins, cette professionnalisation du secteur a comme conséquence de l’apparenter davantage à un business. Avec le nombre grandissant d’associations qui existent, la démocratisation et la capitalisation de l’activité, des dérives apparaissent. Des associations proposent de construire des pompes à eau dans des villages qui n’ont pas d’accès sûr et sécurisé à celles-ci. Mais les études préalables pour garantir l’efficacité des infrastructures dans le temps ne sont pas faites, et on se retrouve avec des champs de pompes qui ne fonctionnent plus après quelques mois d’utilisation. De la même manière, l’intérêt grandissant des jeunes pour les parcours ONG à l’étranger a créé un business du voyage à impact, où souvent la nécessité d’envoyer ses recrues sur le terrain prend le dessus sur les besoins réels de main d’œuvre et savoir-faire sur place.
Quel futur pour les ONG ?
Nous voici donc à un tournant pour le monde associatif. Le développement actuel des ONG est aussi une conséquence des politiques que l’on observe à l’échelle nationale. Face à un recul des gouvernements sur les questions sociétales, les associations viennent pallier les lacunes de l’État dans un contexte qui penche de plus en plus vers le conservatisme. À l’heure où les ONG sont écoutées et soutenues par un grand nombre de personnes, elles ont l’opportunité de faire la différence. Dans une société en mouvement, où les impératifs climatiques et sociétaux nous obligent à repenser notre manière de vivre, les ONG et associations sont de formidables acteurs pour construire le monde de demain ; un monde plus juste et inclusif. Mais pour cela, ces structures vont devoir s’affirmer davantage auprès des organes de décisions tout en consolidant leurs structures.
Paola Hernandez