À l’heure où de nombreux regards sont tournés vers la mer qui monte, la disparition progressive du sable se fait entendre. Au Sénégal, les plus âgés témoignent de la disparition des grandes dunes qui faisaient la plage quand ils étaient jeunes et du long chemin qu’il fallait parcourir pour atteindre l’eau. Une vision difficile à imaginer aujourd’hui quand on regarde les plages lisses de Dakar et la mer aux portes de la capitale.
Le sable, une des principales ressources mondiales
Le sable est une matière solide composée de petits grains produits par l’érosion naturelle ou non de roches ou de matière organique telle que les coquillages ou les coraux. Pour être considérés comme du sable, les grains doivent avoir une dimension qui oscille entre 0,063mm et 2mm. Ces grains sont très légers et peuvent être transportés par l’eau ou le vent sur de grandes distances. La forme des grains, leur taille et leur nature déterminent la qualité du sable. Le sable peut être utilisé de nombreuses manières différentes. C’est la matière première de la fabrication du verre. Il peut servir à fabriquer des pièces informatiques et des moules pour des pièces de mécanique ou bien pour filtrer les liquides, les gaz ou encore l’air. Il est utilisé comme lest, dans l’industrie textile, pour ses propriétés abrasives ou encore pour changer les qualités de terres agricoles. En outre, certains sables particulièrement malléables sont très recherchés en maçonnerie. Mélangés à un liant tel que la chaux ou le ciment, ils permettent d’obtenir une pâte qui se solidifie en séchant. En associant le béton à des barres en acier, il est possible de construire des structures dites en béton armé qui sont très résistantes.
Depuis plusieurs années, les constructions en béton sont devenues la norme. Les matières premières et techniques traditionnelles ont peu à peu été abandonnées pour laisser place au béton et à ses propriétés particulièrement recherchées par les maçons. Ainsi, on construit en Allemagne avec le même matériau qu’à Singapour, en Bolivie ou au Sénégal. Le secteur de la construction a subi une normalisation et standardisation des goûts et des techniques. Ce phénomène d’harmonisation est ce qu’on appelle la “bétonisation” c’est-à-dire, le processus accéléré d’urbanisation caractérisé par le monopole de la construction en béton et autres surfaces minérales. En 2010 déjà, deux tiers des habitations neuves dans le monde étaient construites en béton. Ainsi, c’est un matériau favorisé car il présente de nombreux avantages ; il est solide, polymorphe, peu cher et simple à utiliser. Néanmoins, il vient avec son lot de contraintes. Le béton est particulièrement vulnérable aux aléas climatiques et sismiques. C’est aussi un matériau qui ne vieillit pas très bien, très souvent victime de la carbonatation ; le CO2 présent dans l’air en réaction avec le ciment va, par réaction chimique, altérer le pH du béton. L’acier est alors menacé ; il se gondole et gonfle entraînant des éclatements dans le béton. D’autres phénomènes, encore, peuvent altérer la durabilité du béton comme par exemple le gel et le dégel, une exposition prolongée à l’eau et particulièrement l’eau salée, la corrosion des armatures en acier, la lixiviation et d’autres. En outre, la fabrication du béton est un processus énergivore et une des sources principales de la dégradation de l’environnement. La production de béton est responsable d’une part considérable de l’émission des gaz à effet de serre dans le monde. Le besoin perpétuel de plus de matière première, comme le sable, a conduit à une surexploitation des plages et à la destruction d’écosystèmes littoraux.
Aujourd’hui, le sable est le deuxième matériau minéral le plus utilisé par l’Homme après l’eau. Chaque année, un peu plus de 15 milliards de tonnes de sable seraient extraites des sols ; en comparaison, la même quantité de sable est produite naturellement par les fleuves sur ce même temps. D’après le documentaire de Denis Delestrac, le sable pèse 70 milliards de dollars américains dans les échanges mondiaux tous les ans. Les États-Unis et la Chine sont les principaux pays extracteurs de sables, suivis de l’Espagne, l’Arabie Saoudite et le Maroc (Le Sable Enquête Sur une Disparition, 2013). Néanmoins, ces données s’appuient sur des chiffres publiés par les États et ne tiennent pas compte des extractions illégales. Chaque année, des milliards de tonnes de sable sont extraites des sols par des mafias spécialisées ou des particuliers en quête de revenus faciles. Ces opérations ont principalement lieu en Amérique Centrale, sur le continent africain et en Asie du sud et du sud-est. Ces mafias opèrent même parfois aux yeux de tous et en toute impunité. L’un des premiers clients du sable est Singapour (Le Sable Enquête Sur une Disparition, 2013). La métropole a dû faire face par le passé à plusieurs scandales liés à des extractions illégales de sable en Malaisie mais ceux-ci n’ont en aucun cas freiné les projets de la cité. Dubaï est aussi un important client de l’industrie du sable. Le sable est essentiel pour réaliser les projets d’expansion urbaine et d’îles aux designs démesurés. Mais ce ne sont pas les seuls à céder à la folie du marché mondial du sable.
Le Sénégal, un pays en pleine croissance qui a besoin de ressources
Le Sénégal est un pays d’Afrique Subsaharienne. Son territoire est limité à l’ouest par l’Océan Atlantique, au nord par la Mauritanie, à l’est par le Mali et au sud par la Guinée et la Guinée-Bissau. Son territoire s’étend sur environ 197 000 km² et compte 16 210 000 habitants en 2019. La population se concentre principalement à l’ouest du pays sur la côte et le long de la frontière nord-est du pays. Le Sénégal dispose d’un important bassin côtier qui s’enfonce dans les terres, ce qui se traduit par d’importantes réserves de sable en surface. Le pays est un important producteur de denrées alimentaires et dispose de réserves naturelles variées : des pierres précieuses aux métaux rares. Enfin dans les années 2010, les recherches de pétrole et de gaz offshore ont porté leurs fruits puisque plusieurs poches exploitables ont été trouvées.
Le Sénégal est un pays multiculturel avec une forte diversité ethnique et religieuse. Il est considéré depuis plusieurs années comme un moteur pour la région. La société gagne petit à petit en pouvoir d’achat et d’importants progrès sociaux ont été réalisés. Néanmoins, à l’échelle mondiale, la fragilité des populations reste importante. Et la pauvreté persiste. La société sénégalaise stimulée par une économie qui s’ouvre au monde est en demande d’infrastructures et de services. Cela est particulièrement visible dans le secteur de la construction. Des maisons, immeubles et routes apparaissent chaque jour autour de Dakar, la capitale, mais aussi, dans tout le reste du pays.
Le dynamisme du secteur de la construction au Sénégal n’est pas sans conséquence. Pour répondre à la demande et à la volonté de moderniser, les constructeurs se sont détournés de techniques et matériaux traditionnels pour standardiser leurs techniques à l’image de l’Occident. Le béton est donc devenu le graal dans ce secteur en plein boom. Or, comme nous l’avons mentionné précédemment, pour faire du béton, il faut du sable. Le Sénégal n’en manque pas. Ainsi pour satisfaire les besoins de la population, le Sénégal a pu mobiliser ses grands espaces sableux pour en faire des carrières. Aujourd’hui, avec l’interdiction des carrières publiques pour limiter l’érosion, des milliers de camions viennent creuser des lots de terres privées à la recherche de sable. Le balais une fois terminé, un nouveau paysage se dessine marqué par des cratères abandonnés lorsqu’ils sont vidés. Les carrières ont des durées de vie très limitées. Par manque de régulations, les plages du Sénégal ont longtemps été utilisées comme carrières. Mais face aux terribles conséquences sur le trait du littoral, l’État a dû intervenir et fermer ces espaces aux creuseurs.
De l’illégalité à l’impérativité : comment le sable est devenu un facteur de tensions dans le pays
Afin d’endiguer le phénomène d’extractions sauvages, le gouvernement a mis en place des mesures dissuasives ainsi que des sanctions lourdes pour toutes personnes qui s’y risquent. D’importants aménagements ont été réalisés sur le littoral de la péninsule de Dakar et les régions adjacentes afin de séparer les plages des routes. Les entrées des plages ont été réaménagées afin d’empêcher le passage des camions et autres véhicules motorisés. Une brigade de police spécialisée a été montée afin de répondre aux signalements et de patrouiller au bord des plages. L’extraction de sable dans des espaces non autorisés est devenu un délit passible d’une amende de 75000 F CFA soit environ 114 €, un prix très élevé pour les Sénégalais auquel s’ajoute la confiscation du véhicule et du matériel (Croissance Verte, 2020). Avec plusieurs associations locales, des programmes de sensibilisation ont été mis en place. Les plus anciens témoignent de l’avancée de la plage aux plus jeunes.
Si ces mesures ont permis de limiter les extractions individuelles dans certains quartiers, elles ne permettent pas de résoudre durablement le problème. En effet, l’extraction et la revente du sable rapportent gros. Si les extracteurs revendent la charrette 200 F CFA soit 4 €, celle-ci ne leur coûte rien puisqu’ils ne payent pas pour procéder à l’extraction (Croissance Verte, 2020). Ainsi, pour certains Sénégalais, le risque en vaut la chandelle. La tâche est simple et ils n’ont pas besoin d’appartenir à un groupe ou une structure. La demande est d’autant plus forte que beaucoup de Sénégalais construisent eux-mêmes leur habitation dans les périphérie de Dakar et préfèrent acheter du sable moins cher mais illégalement. Il en est de même pour les constructeurs, souvent peu regardant sur l’origine de leurs matériaux tant que le prix est avantageux.
Malgré des initiatives prometteuses qui peinent à endiguer durablement le problème, le sable continue d’être une ressource au cœur de fortes tensions au Sénégal. Le gouvernement et les fournisseurs de matériaux ont des difficultés à proposer des alternatives au sable ce qui ne permet pas de se détourner durablement de cette voie. Les projets de sensibilisation se multiplient dans tout le pays mais ils ne suffisent pas à faire naître une conscience écologique forte dans la population. Les avantages du béton et les besoins en logements et infrastructures continuent de prendre le pas sur les conséquences écologiques désastreuses pour le pays. La diffusion à grande échelle de ce mode de construction et le phénomène d’imitation entravent les discours écologistes et les sensibilisation au développement durable.
Paola Hernandez