Les populations des quartiers pauvres de Dakar, premières victimes des inondations
Depuis plusieurs décennies, les inondations sur la presqu’île du Cap Vert empêchent les habitants de dormir. Elles sévissent tous les ans à la saison des pluies, de juin à octobre, laissant derrière elles des quartiers détériorés et insalubres. Ce phénomène ancien s’intensifie depuis plusieurs années avec des eaux qui montent de plus en plus haut et de nouveaux quartiers touchés. Les inondations ne connaissent pas de frontières : elles touchent aussi bien les habitations privées que les magasins, les écoles, les hôpitaux ou les administrations. Et si aucune infrastructure n’est là pour permettre l’évacuation des eaux, celles-ci vont s’étendre jusqu’à ce que l’évacuation naturelle puisse se faire. En 2019, seules 5 salles de classe sur les 15 que compte l’école de la commune de Sam Sam étaient utilisables après les inondations. À Diamaguène Sicap Mbao, une des communes les plus touchées par les inondations ces dix dernières années, sur les 79 quartiers que compte la commune, seuls 5 ont été épargnés par les eaux. Au-delà des dégâts matériels des inondations, les dégâts humains et risques sanitaires sont bien présents. En septembre 2020, un corps inanimé a été retrouvé à Guinaw-Rails suite à la descente des eaux. De plus, puisqu’il n’y a pas d’égout, toutes les eaux sont rejetées de manière anarchique dans les rues ou les zones inhabitées, entraînant des problèmes de salubrité importants à cause de la stagnation d’eaux sales qui crée de la boue. Ces boues de vidange doivent le plus souvent être évacuées manuellement malgré les risques sanitaires. Dans de nombreux quartiers, les rues sont parsemées de typhas, signe de l’humidité des sols qui persiste longtemps après l’écoulement des eaux de surface. Finalement, la précarité financière des ménages touchés les contraint à vivre dans des habitations humides et insalubres.
Alors que de nombreux habitants évoquent un manque de volonté politique pour faire face à la situation, il semblerait que les autorités locales soient dépassées par l’intensité et l’ampleur du phénomène. Ainsi, si elles ont vu leur éventail de compétences considérablement s’agrandir après la décentralisation opérée par l’État sénégalais, leurs moyens techniques, matériels et financiers eux, demeurent faibles. La réponse des autorités est souvent la même et implique de recenser les besoins pour que des actions concrètes soient entreprises. Toutefois, tous les ans, dans certains quartiers, les habitants voient leurs élus dépassés, arpenter les rues lors de marches de préventions, et prononcer des discours remplis de promesses qui paraissent difficiles à tenir. Par ailleurs, la décentralisation des compétences liées aux interventions lors d’inondations a pour effet de créer des inégalités entre les quartiers. Ainsi, certains quartiers ayant plus de moyens et de compétences techniques particulières grâce à des entreprises privées qui y sont installées, arrivent à faire face au phénomène et même à l’endiguer. Dans les autres communes aux finances plus fragiles, le sentiment d’impuissance des autorités locales transparaît dans des actions telles que celle de la mairie de Diamaguène Sicap Mbao qui a acheté en 2019 pour plus de 20 millions de Fcfa de sac de sable afin de limiter l’avancée des eaux à défaut de pouvoir construire des aménagements adaptés. Dans l’urgence, les autorités ont aussi recours à l’utilisation de tuyaux souples pour rediriger l’eau vers d’autres canaux sans vraiment savoir quelle quantité d’eau ceux-ci peuvent accueillir. Ainsi, face aux mesures peu efficaces, les habitants doivent agir par eux-mêmes pour tenter de sauver leur maison ou leur commerce. Cependant, les motopompes pour aspirer l’eau stagnante coûtent cher et sont prises d’assaut lors des inondations. Face au mécontentement des populations, certaines communes préfèrent prévenir en faisant appel à des forces de l’ordre lors de ces évènements. Cette stratégie alimente un cercle vicieux d’insécurité dans les quartiers touchés.
Des infrastructures qui peinent à limiter l’ampleur des inondations
Face à cette situation critique, en 2012, après son élection à la présidence du pays, Macky Sall a lancé le Programme Décennal de Gestion des Inondations (PDGI) qui succède au plan JAXAAY mis en place après les inondations terribles de 2005. Il s’agit d’un plan global qui concerne tous les niveaux de gouvernance du pays. En 2021, d’après le ministère des finances, ce sont près de 511 milliards de Fcfa soit 780 millions d’euros qui ont été dépensés dans le cadre de ce programme. Le PDGI a été mis en place pour une exécution de 2012 à 2022 avec un budget de 750 milliards de Fcfa. Il prévoyait une étude technique des zones d’inondations, le relogement des populations sinistrées, la planification et l’aménagement des villes autour de cette problématique avec notamment des canaux de drainage et des caniveaux. En 2018, 65 kilomètres de canaux de drainage ont été construits ainsi qu’une dizaine de stations de pompage et 20 bassins de rétention pour un coût d’environ 149 milliards de Fcfa selon l’Office national de l’Assainissement du Sénégal (ONAS). Mais les pluies continuent de sévir. Et si, effectivement, certains habitants ont vu de nettes améliorations dans leur quartier comme à Mariste ou Ouest Foire, d’autres ont encore les pieds dans l’eau chaque année. Une composante cruciale du PDGI est le Programme de Gestion des Eaux Pluviales (PROGEP) qui est au mains de l’Agence de Développement Municipale (ADM), lui aussi initié en 2012. Néanmoins, les confusions qui existent entre ces deux programmes montrent le manque d’informations et de communication entre les différents niveaux des autorités ainsi que les populations. En amont de la saison des pluies de 2021, dans le cadre du PROGEP 1, des canaux avaient été construits et des lacs de la forêt de Mbao avaient été réhabilités. Les installations, dont la qualité a été vantée par le ministre des collectivités territoriales, du développement et de l’aménagement du territoire, ont cédé face aux inondations quelques semaines plus tard. Plusieurs aménagements qui devaient garantir l’efficacité de celles-ci, n’avaient pas été réalisés et l’étude technique était très sommaire. En réponse aux manquements, l’ADM a annoncé la construction de plusieurs bassins de désengorgement des eaux dans le cadre de PROGEP 2. Or, ces installations ne devraient pas être opérationnelles avant encore plusieurs années et demandent, pour être réaliser, le “déguerpissement” de nombreux habitants. Le PROGEP 2 est présenté comme une nouvelle version du programme qui permettrait de corriger les erreurs et prendre en compte un plus large panel de quartiers touchés par les inondations.
L’intensification du phénomène d’inondation ces dernières années est dû en partie au changement climatique conformément aux dires de nombreux élus. Néanmoins, il est surtout lié à une mauvaise gestion de l’étalement urbain et de la construction sur la presqu’île. En effet, aucun contrôle ou réglementation ne sont appliqués par les autorités locales. Des zones qui ne devraient pas être aménagées à cause du risque connu d’inondation, subissent des constructions sauvages. Les permis de construire et les études techniques ne sont pas demandés. Cela s’ajoute à l’inexistence de système d’égouts et d’évacuation des eaux qui crée des situations à risques. Ainsi, là où l’eau pouvait naturellement s’écouler avant, elle fait maintenant face à un mur de briques ou de déchets. Par exemple, lors de la construction de la VDN3 à Guédiawaye, les canaux de drainage préexistants ont été endommagés voir détruits ce qui a, par la suite, aggravé le phénomène d’inondation dans la zone. Un autre exemple, le marigot de Mbao, classé dans le cadre du Programme Décennal de Gestion des Inondations (PDGI), réceptionne les flux d’eau en provenance de Keur Massar, régulièrement touchée par des inondations importantes. Il est bordé d’habitats sauvages non réglementés et le lit est rempli de déchets. Aucune initiative d’entretien n’a été mise en place.
Une coopération technique pour mieux appréhender les inondations
Ainsi, ces initiatives sont fortement compromises par plusieurs problèmes. D’abord, si la construction de stations de pompage et canaux de drainage est nécessaire, ces initiatives qui sont les moins coûteuses, ne permettent pas de venir durablement à bout du problème. Il faut des travaux d’aménagement plus importants et à plus grande échelle. Sans compter que les aménagements et infrastructures qui sont réalisées sont toutes faites de manière individuelle, alors qu’elles doivent fonctionner et être pensées en concorde pour être efficaces. La décentralisation n’a fait qu’éloigner les quartiers les uns des autres, laissant la place à un manque de coordination et d’entraide pour lutter contre le phénomène. Les autorités cèdent souvent à l’urgence, quitte à passer outre les études techniques, coûteuses et longues à réaliser dans un contexte de manque de professionnels. Néanmoins, elles restent indispensables pour penser les infrastructures adéquates et intervenir efficacement. Ainsi, il semblerait que les autorités sénégalaises ont besoin de se détacher d’une stratégie d’état providence et de se tourner, plutôt, vers des partenaires qui pourraient les épauler dans leur combat contre les inondations. Que cela soit les ONG, les entreprises privées ou les institutions internationales, de nombreux acteurs peuvent soutenir les initiatives des acteurs locaux en leur apportant une expertise technique et de l’expérience en matière de gestion des inondations.
Paola Hernandez