A l’image de l’ensemble du continent africain, le poids démographique de la jeunesse en Côte d’Ivoire ne cesse d’augmenter : en 2014, 77,3 % de la population avait moins de 35 ans, soit trois ivoiriens sur quatre (Recensement Général de la Population et de l’Habitat). Si ces jeunes représentent un capital humain et un atout indéniable pour contribuer au développement durable du pays, celui-ci fait face à un réel défi concernant l’insertion socio-professionnelle des jeunes. Pour le gouvernement, l’enjeu est clair : la jeunesse doit constituer une « opportunité historique » et non une « bombe à retardement » (Groupe Initiative Afrique, 2017).
(Sauf indication contraire, les données chiffrées de cet article sont issues du document de la Politique Nationale de la Jeunesse 2021-2025 de la République de Côte d’Ivoire, publié en septembre 2021).
Etat des lieux de la situation en Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire, qui comptait en 2014 plus de 22 millions d’habitants (RGPH), est en plein développement et constitue aujourd’hui la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest. En effet, grâce à une série de réformes menées depuis 10 ans, le pays connaît une croissance économique forte et stable : entre 2012 et 2019, le taux de croissance annuel moyen était supérieur à 8 %. De plus, la Côte d’Ivoire n’a pas subi de récession économique lors de la crise liée au Covid-19. Le premier producteur mondial de cacao, qui connaît aujourd’hui une transformation structurelle afin de favoriser l’industrialisation de son territoire, ambitionne ainsi de faire partie des pays émergents à l’horizon 2030 (Programme National de Développement 2021-2025). Pour y parvenir, le pays peut compter sur une main d’œuvre certaine : les jeunes, âgés de 15 à 35 ans, représentant plus du tiers de la population ivoirienne. Mais malgré les efforts colossaux menés par le gouvernement depuis 2016 et qui ont permis de diminuer le taux de chômage des jeunes de 7,3 % pour passer sous la barre symbolique des 5 %, 9,6 % des jeunes sont encore en besoin d’insertion, dont la majeure partie sont des femmes (52,3 %). Cette appellation regroupe plusieurs profils : il s’agit d’abord des jeunes chômeurs, en recherche d’emploi et qui représentent 28,3 % du total des jeunes en besoin d’insertion ; et les jeunes « demandeurs potentiels disponibles » (41,2 %), qui sont sans emploi et n’en recherchent pas, mais sont néanmoins disponibles pour en occuper un. Concrètement, il s’agit de jeunes découragés par le marché du travail : ils sont fatigués de ne pas trouver d’emploi, ou doutent de la capacité du marché du travail à leur en offrir un. Ils sont donc particulièrement vulnérables, et ont besoin d’un accompagnement pour modifier leur perception du marché du travail. Enfin, les jeunes en besoin d’insertion sont aussi ceux qui occupent un emploi mais en recherchent un autre (30,5 %). Deux cas de figures sont alors possibles : soit le jeune recherche un emploi pour remplacer son emploi actuel, soit il cherche un emploi en complément du premier. Dans tous les cas, il s’agit de jeunes non-satisfaits de l’emploi qu’ils occupent : rémunération insuffisante et/ou conditions et environnement de travail non-satisfaisants (temps de trajets domicile-travail élevés, ou encore travail dans un certain secteur d’activités par dépit).
En effet, les jeunes sont surreprésentés dans les statuts les plus précaires : emplois vulnérables et sous-emploi (ou travail indécent). Par ailleurs, dans un pays où 80% de l’économie nationale est informelle, les jeunes sont peu présents dans le secteur formel, qui représente à peine 3% des emplois en 2016, contre 16 % pour leurs aînés. Cette concentration des jeunes dans ce secteur informel est d’autant plus problématique que la part des entreprises informelles avec un véritable potentiel de croissance reste très faible (Demenet et al., 2016).
Quelles conséquences ?
La conséquence directe de cette situation est une surexposition des jeunes à la précarité, qu’elle soit financière, économique ou sociale, favorisant ainsi les inégalités au sein du pays.
Mais au-delà de cela, cette difficulté à s’insérer dans la société amène un mal-être social chez les jeunes et un sentiment de frustration. Ils courent alors un risque de rupture sociale : depuis quelques années, le gouvernement ivoirien observe une diminution de la participation des jeunes à la vie sociale et politique, liée entre autres à la persistance du chômage et du sous-emploi. Ils sont également beaucoup plus vulnérables face aux comportements déviationnistes : violence, délinquance, banditisme, drogue, prostitution, ou encore radicalisation. Les jeunes des régions du nord du pays transfrontalières du Mali et Burkina Faso sont d’ailleurs devenus depuis quelques années la cible des groupes djihadistes qui tentent de les recruter.
On observe également une augmentation des migrations internes et un fort exode rural des jeunes. Sans avenir possible dans leur village, ces derniers migrent vers les grandes villes dans l’espoir d’y trouver un travail. Ainsi, les jeunes en besoin d’insertion sont aujourd’hui fortement concentrés dans le district autonome d’Abidjan (56,6 %, d’après ERI-ESI, 2017). Mais pour autant, la situation reste problématique puisqu’à Abidjan, qui est pourtant la capitale économique du pays, le taux de chômage des jeunes y est deux fois plus élevé qu’au niveau national, et le taux de sous-emploi est lui aussi supérieur. Enfin, cette situation pousse même certains jeunes à vouloir quitter le pays, entraînant un essor des immigrations clandestines, avec tous les risques que cela comporte.
Quelles raisons expliquent cette situation ?
Le manque d’accès global à l’éducation, enjeu faisant d’ailleurs l’objet de l’ODD 4 promu par l’ONU, est la première cause expliquant les difficultés des jeunes face à l’insertion socio-professionnelle. Dans ce pays où le taux d’analphabétisation s’élève à 43,9 % (2019), le taux de scolarisation global augmente d’années en années, mais diminue progressivement avec le niveau d’instruction. Il passe ainsi de 94 % en primaire (tranche des 6-11 ans) à 48 % au cours du premier cycle du secondaire (12-15 ans) puis à 25 % au cours du second cycle (16-18 ans), pour l’année académique 2013-2014. Cette diminution progressive est due à un manque d’accès aux établissements scolaires : la capacité d’accueil est en fait largement inférieure à la demande du fait d’un manque d’infrastructures d’enseignement, lui-même lié à un manque de moyens financiers et techniques des collectivités territoriales. Par exemple, il existe seulement 8 établissements de formation professionnelle dans tout le pays, et les quelques universités et établissements d’enseignement supérieur (qui comptaient 247 779 étudiants pour l’année universitaire 2018-2019) sont principalement localisés à Abidjan et Yamoussoukro. Mais ce n’est pas tout. L’éducation n’est pas non plus assez accessible d’un point de vue financier, avec trop peu d’établissements publics et de dispositifs de subventions aux établissements privés : pour l’enseignement technique et la formation professionnelle (qui comptaient 123 552 élèves pour l’année 2018-2019), les établissements privés concentrent 94,2 % des élèves, contre seulement 5,8 % pour les établissements publics (Annuaire statistique du Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle). Tous ces dysfonctionnements poussent les élèves à sortir du système scolaire et à vouloir rentrer dans la vie active, augmentant ainsi les taux de déscolarisation et les taux d’abandon.
Par ailleurs, si l’on s’intéresse aux profils des jeunes en besoin d’insertion, en fonction de leurs niveaux d’instruction, on apprend que la part de ceux ayant un niveau d’étude correspondant au niveau secondaire (36 %) et ceux ayant un niveau supérieur d’étude (18,6 %) représentent plus de la moitié de l’effectif total (Enquête Régionale Intégrée sur l’Emploi et le Secteur Informel (ERI-ESI), 2017). Ainsi, même en ayant eu accès à l’éducation et/ou à une formation, les jeunes éprouvent des difficultés à s’insérer socio-professionnellement : le problème ne se limite donc pas à un manque d’accès à l’éducation. Il existe en fait une asymétrie entre les formations délivrées et les besoins réels du marché du travail : certaines formations s’avèrent peu pertinentes et peu qualitatives, entraînant une faible employabilité des jeunes et donc une difficulté d’insertion. De manière générale, l’offre de formation en Côte d’Ivoire est trop peu diversifiée : il n’existe par exemple aucune école de formation aux métiers des travaux publics, alors que le besoin de développement d’infrastructures (voiries, assainissement, etc.) est réel. Ainsi, « l’actualisation et l’adaptation permanente des programmes de formations aux besoins de l’économie » constituent un des défis majeurs de l’Enseignement technique et la formation professionnelle.
Mais au-delà de cela, l’adaptation des formations pour répondre localement aux besoins des entreprises et des collectivités, semble tout aussi indispensable. Au sein de la Région du Gôh (district de Gôh-Djiboua), territoire à dominante agricole et en manque d’infrastructures, les formations professionnelles se concentrent sur le secteur de l’industrie, qui correspondent certes aux besoins à l’échelle nationale, mais peu aux besoins locaux ; la région ne dispose pas de formation professionnelle aux métiers agricoles ou aux travaux publics, ce qui pourrait pourtant inciter les jeunes à rester dans la région en contrant l’exode rural massif et ainsi désamorcer ce cercle vicieux
Quelles solutions mises en place ?
Des solutions sont d’abord instaurées à l’échelle régionale. En janvier 2022, le Premier ministre ivoirien Patrick Achi a annoncé la mise en place d’un programme d’aides sociales dédié aux jeunes des régions transfrontalières du Mali et du Burkina Faso. Destiné à 19 000 jeunes de six régions du pays, ce programme ambitieux dont le coût s’élève à 8,6 milliards de franc CFA a pour objectif de faire face à la montée du djihad chez les jeunes en finançant des contrats de main d’œuvre dans les travaux publics, d’apprentissage, et le développement d’activités génératrices de revenus.
A l’échelle nationale, le gouvernement ivoirien a mis en place depuis 2016 deux PNJ : Programme National de la Jeunesse. La vision globale du PNJ 2021-2025 est que : « la Côte d’Ivoire dispose d’une jeunesse compétente, autonome, innovante, imprégnée des valeurs civiques, citoyennes et morales, et jouissant d’un bien-être physique, mental et socio-économique, la rendant apte à participer aux processus décisionnels qui assurent le développement durable ». Ce changement de paradigme se décline en plusieurs axes stratégiques, à savoir la participation des jeunes aux processus de développement et l’accès à des services sociaux de base adaptés ; l’insertion professionnelle et l’accès des jeunes à des emplois décents et durables ; et enfin l’amélioration des conditions économiques, politiques et sociales des individus et des groupes, basés sur des valeurs civiques et citoyennes. Pour y parvenir, l’accent sera notamment mis sur le renforcement de dispositifs de promotion et de développement des infrastructures d’encadrement socio-éducatif, le renforcement des dispositifs d’amélioration de l’employabilité, de l’insertion professionnelle et de l’emploi des jeunes, ou encore le renforcement des dispositifs de promotion de la culture civique et citoyenne.
Dans ce processus, les collectivités territoriales et le secteur privé ont un rôle clé à jouer. En effet, les collectivités devront relever de nombreux défis : réussir à prendre en compte les besoins et aspirations des jeunes, notamment dans le cadre du plan de développement économique local mais aussi favoriser leur implication générale dans la gestion locale du développement. Les entreprises quant à elles seront impliquées dans diverses actions pour favoriser l’employabilité des jeunes (formations qualifiantes, stages, etc.), mais aussi la promotion de la culture entrepreneuriale qui est encore trop peu présente en Côte d’Ivoire.
Valentine Le Cras