Suite à la description dans un précédent article de la situation des jeunes en Côte d’Ivoire, je vous présente ici comment TPSF agit concrètement pour contribuer à réduire leurs difficultés d’insertion socio-professionnelle.
Gagnoa-Gôh, un territoire où l’employabilité des jeunes est synonyme de moteur de développement
En 2016, l’ONG Travaux Publics Sans Frontières (TPSF) a été contactée par la Mairie de Gagnoa, en Côte d’Ivoire. Située à 270 km au nord-ouest d’Abidjan, Gagnoa compte plus de 200 000 habitants.es, ce qui en fait la septième plus grande ville du pays. Elle constitue aussi le pôle économique de la Région du Gôh (district de Gôh-Djiboua), territoire à dominante agricole, et où le développement des infrastructures reste une priorité comme en témoignent les Plans Nationaux de Développement (PND) 2016-2020 puis 2021-2025.
Cette sollicitation de la Mairie de Gagnoa intervient dans un contexte global de décentralisation, amorcée depuis la fin des années 1980 par le gouvernement ivoirien afin de réduire les disparités locales et régionales en termes d’aménagement et développement du territoire. Ainsi, les politiques d’aménagement centralisées ont peu à peu laissé place à une politique de délégation, avec un transfert de compétences aux collectivités territoriales. Mais pour autant, les capacités d’action des collectivités locales comme les communes restent en pratique très limitées, puisque celles-ci font face à un manque important de moyens, pourtant nécessaires pour pouvoir assurer le développement de leur localité. Ces manques de moyens sont à la fois techniques, humains, mais aussi financiers, puisque suite au transfert de compétences, aucun transfert budgétaire n’a suivi pour la majorité des communes.
En parallèle de cela, la ville de Gagnoa fait face à une autre problématique, d’ordre social cette fois. Si, de manière globale, les jeunes ivoiriens.nes font face à un taux de chômage important et sont en besoin d’insertion, cette situation est exacerbée dans les grandes villes comme Gagnoa, où de nombreux.ses jeunes issus.es de zones rurales s’installent, en espérant y trouver un emploi. Cette situation entraîne une réelle précarité pour les jeunes qui deviennent plus vulnérables et sont d’autant plus en proie au risque de rupture sociale qui elle-même favorise les comportements déviationnistes. Face à cette situation où, d’une part les collectivités manquent de main d’œuvre pour amorcer le développement, et d’autre part, de nombreux.ses jeunes sont au chômage, force est de constater qu’il existe une dissymétrie entre capital humain et besoins du marché du travail. Cette dissymétrie est liée en partie à un manque d’accès des jeunes à des formations qualifiantes sur des secteurs porteurs localement.
Un projet innovant plaçant les jeunes au coeur du développement socio-économique du territoire
À la suite de concertations et d’échanges entre TPSF et plusieurs acteurs locaux, trois objectifs avaient été énoncés afin de contribuer, in fine, à répondre aux problématiques de manque d’infrastructures et de chômage des jeunes.
Tout d’abord, il s’agit de mettre en place une intercollectivité constituée de la municipalité de Gagnoa, de quatre autres villes situées à proximité de Gagnoa et partageant des problématiques de développement similaires (Oumé, Guibéroua, Ouragahio, Diégonéfla), ainsi que le Conseil Régional de la région du Gôh. Ce projet d’intercollectivité, soutenu par TPSF, permettra d’assurer collectivement le développement du territoire, et d’augmenter les capacités d’action des collectivités. En effet, le principe même de l’intercollectivité est de mutualiser les ressources des collectivités membres et de diminuer les coûts et risques supportés par chacune d’elles, ce qui les encouragera à s’engager et à investir dans des projets d’infrastructures. Cette intercollectivité sera la structure porteuse du Plan de Développement Local (PDL), élaboré en concertation avec les acteurs du territoire (associations locales, entreprises privées, etc.), les populations locales et en particulier les jeunes. Ce PDL définira la stratégie de l’intercollectivité pour le développement et la valorisation des ressources et dynamiques locales (notamment agricoles), ainsi que le plan d’action, détaillant les projets d’infrastructures à mettre en place dans le cadre de cette stratégie. Par ailleurs, un service technique (spécialisé dans l’entretien des voiries, l’électrification publique, etc.) sera créé au sein de l’intercollectivtié, constituant un vivier d’emplois locaux.
Ensuite, TPSF et ses partenaires ont pour but, à travers ce projet, de créer un centre de formation professionnelle aux métiers des travaux publics (CFA-TP). Concrètement, ce CFA-TP proposera plusieurs formations, comme conducteur.trice d’engins, mécanicien.ne, ou encore maçon.ne-coffreur.se. Chaque formation aura une durée d’un an et sera décomposée de la manière suivante : d’abord trois mois de formation théorique au sein du CFA-TP, puis une formation pratique de 9 mois basée autour du concept de chantier-école, dispositif spécifique où les apprenants sont impliqués dans un chantier grandeur nature et utile à la collectivité. Cette mise en situation réelle de travail permet l’acquisition de compétences pratiques, et renforce ainsi l’employabilité des jeunes. Ce concept de chantier-école constitue d’ailleurs la clé de voûte de l’ensemble du projet : l’idée est que les chantiers et projets d’infrastructures à réaliser dans le cadre du PDL constituent en fait des chantiers-école, réalisés par les élèves du CFA-TP.
Enfin, le projet a pour ambition d’aider les jeunes diplômés du CFA-TP dans leur insertion professionnelle et leur recherche d’emploi. À l’issue de leur formation, plusieurs choix s’offriront à eux. Ils pourront intégrer le service technique de l’intercollectivité, ou travailler dans le secteur privé, au sein d’une entreprise de TP locale. Mais ceux qui le souhaitent pourront également bénéficier d’un soutien à l’entreprenariat, encore très peu présent en Côte d’Ivoire, afin de lancer leur propre entreprise de TP.
Un projet dans les starting-blocks
Au début de l’année 2020, ce projet était bien avancé et plusieurs ressources avaient déjà été mobilisées. Ainsi, grâce aux dons d’entreprises partenaires et adhérentes à TPSF, du matériel scolaire (ordinateurs, bureaux, chaises, etc.), du matériel de travaux publics (lampes électriques urbaines) ainsi que des engins de chantier (pelleteuse, mini-pelle, remorque, etc.) avaient été acheminées vers Gagnoa. Malheureusement, cette dynamique a été freinée, et ce pour plusieurs raisons : la complication des échanges avec les acteurs locaux à partir de 2020 en raison de la crise du Covid19, le changement de maire de la ville de Gagnoa, ainsi que les élections présidentielles. Cependant, depuis quelques mois, plusieurs acteurs souhaitent relancer ce projet, parmi eux la Mairie de Gagnoa et la DGDDL (Direction Générale de la Décentralisation et du Développement Local) du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Depuis le début de l’année 2022, TPSF travaille donc à l’actualisation de ce projet. Aussi, une mission sur place est prévue très prochainement afin d’échanger avec de potentiels partenaires sur le projet.
Valentine Le Cras