Dans le cadre des négociations internationales sur le climat, il est admis que les pays développés ont une dette climatique ou une dette d’émissions à rembourser par rapport aux pays en développement, car ils ont déjà émis des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES) pour se développer dans le passé, notamment pendant la période d’industrialisation. Quant aux pays moins développés, ils ont peu de responsabilités historiques et peu de capacités pour prendre des engagements et ainsi réduire leurs émissions. Bien que cette argumentation ne soit pas explicitée dans les documents officiels, les responsabilités des pays dans la lutte contre le changement climatique sont tout de même définies comme « communes mais différenciées » dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). L’une des hypothèses qui sous-tend cet arrangement est que le développement nécessite des combustibles, et que les émissions sont un prix à payer pour le développement. Ainsi, le besoin de croissance des pays en développement justifierait leurs émissions futures. Toutefois, ce raisonnement va changer avec la mise en œuvre de l’initiative « zéro émission » dans le monde entier.
Dans le secteur de l’énergie, une transition est en cours depuis plus d’une décennie pour passer des énergies traditionnelles comme le charbon et le pétrole à des sources d’énergie renouvelables à faibles émissions comme l’hydroélectricité, l’énergie éolienne et l’énergie photovoltaïque (PV), etc. Par rapport aux pays où les infrastructures pour les sources d’énergie traditionnelles sont déjà en place et fonctionnent, de nombreux pays africains bénéficient d’un avantage dans la transition énergétique car ils ne doivent pas supporter les coûts de remplacement des infrastructures à grande échelle. Les préoccupations mondiales croissantes concernant les problèmes environnementaux et la vulnérabilité de l’Afrique face au changement climatique ont également créé la possibilité pour l’Afrique de faire un bond en avant vers les énergies renouvelables.
L’énergie est une composante essentielle du développement économique. L’accès à l’énergie est essentiel non seulement pour la fourniture de services de santé et d’éducation, mais aussi pour les opportunités économiques et l’emploi. Cependant, selon la Banque africaine de développement, plus de 640 millions de personnes en Afrique vivent sans accès à l’énergie. Le mix énergétique africain se compose majoritairement d’énergies non renouvelables. Avec la croissance démographique et l’expansion des activités commerciales et agricoles, les pays africains ont besoin d’un moteur plus puissant pour soutenir leur développement, un moteur qui soit conforme aux tendances du développement durable et qui ait le potentiel d’être soutenu techniquement et financièrement par des pays tiers.
Conditions géographiques favorables et ressources naturelles abondantes
L’Afrique est un continent dont l’hétérogénéité culturelle, sociale, économique et politique est bien connue. C’est aussi un continent dont la diversité géographique permet un énorme potentiel pour le développement de l’énergie hydraulique, éolienne, solaire et géothermique. Prenons l’exemple de l’énergie solaire. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), le continent reçoit en moyenne une irradiation solaire annuelle de 2 119 kWh/m2 et son potentiel technique d’énergie solaire est estimé à 7 900 GW : l’Afrique possède ainsi 60% des meilleures ressources solaires du monde, mais seulement 1% de la capacité solaire photovoltaïque installée. De même, comme l’a estimé l’Université de technologie de Delft en 2014, le potentiel hydroélectrique inexploité du continent peut atteindre 1 753 GW, ce qui correspond à presque 7 fois la capacité hydroélectrique installée en Europe en 2021. Dans certains pays africains, les conditions favorables à l’hydroélectricité ont déjà porté la part de l’hydroélectricité à plus de 80 % de la production totale d’électricité. Les figures 1 et 2 présentent la répartition de ces ressources sur le continent.
Figure 1. Irradiation horizontale globale annuelle moyenne en Afrique
Source: Renewable energy market analysis: Africa and its regions, IRENA
Figure 2. Potentiel hydroélectrique et capacité installée en Afrique
Source: Renewable energy market analysis: Africa and its regions, IRENA
En outre, l’Afrique est également un continent riche en ressources naturelles, qui peuvent répondre à la demande grandissante d’énergie propre. L’Afrique possède la plus grande industrie minérale du monde. En tant que principal producteur et exportateur de produits minéraux, l’Afrique abrite 30 % des réserves minérales mondiales, comme le lithium, le manganèse et le cobalt, qui sont essentiels pour les batteries, et le cuivre, qui est un composant essentiel du réseau électrique et de presque tous les appareils électroniques. L’Afrique possède également un potentiel important en matière d’éléments de terres rares, notamment en Afrique du Sud, en Tanzanie, au Malawi et au Mozambique. Ces éléments sont fréquemment utilisés dans les technologies renouvelables, dont les cellules solaires et les éoliennes. Ces réserves épargnent à l’Afrique un enjeu prégnant, qui avait été énoncé par Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (IEA), à propos d’un possible décalage entre les ambitions climatiques accrues du monde et la réelle disponibilité des minéraux clés.
Aspirations pour le développement économique et durable
Au-delà des conditions géographiques avantageuses et de l’abondance des ressources naturelles, le déploiement des énergies renouvelables en Afrique est aussi motivé par l’engagement des gouvernements en faveur du développement économique et durable.
La dernière décennie a été marquée par une baisse rapide du coût des énergies renouvelables et une forte augmentation de leur compétitivité. Entre 2010 et 2021, le coût actualisé de l’énergie (LCOE) des projets photovoltaïques nouvellement a baissé de 88 % et, en 2021, le LCOE des nouveaux projets photovoltaïques et hydroélectriques était inférieur de 11 % aux nouveaux projets d’exploitations de combustibles fossiles. Les énergies renouvelables constituent donc une option économiquement attrayante.
Tout en satisfaisant la demande locale d’électricité de manière plus durable, les énergies renouvelables ont également le potentiel de stimuler l’emploi et la croissance économique. En Afrique, les énergies renouvelables peuvent jouer un rôle central dans la création d’emplois, car les investissements dans les technologies de transition énergétique créent près de trois fois plus d’emplois que les combustibles fossiles. Le rapport de l’IRENA indique que les emplois créés lors de la transition dépasseront les pertes liées à l’abandon des combustibles fossiles et de l’énergie nucléaire.
Malgré ces avantages, des obstacles peuvent encore venir des pays qui dépendent de l’exportation de combustibles fossiles. Néanmoins, la tendance mondiale vers une économie à faible émission de carbone et les mesures de restriction des émissions adoptées par les principaux pays et régions consommateurs, telles que la taxe sur les émissions et la taxe carbone aux frontières, obligeront à changer l’énergie qui est utilisée dans toute la chaîne de valeurs. Ces pays pourraient être confrontés à un risque accru d’augmentation du nombre d’ actifs irrécupérables1. Il est donc nécessaire que les pays africains diversifient leur économie pour s’adapter de manière proactive à cette tendance et éviter d’être contraints à une position plus passive. La diversification économique en Afrique est un sujet beaucoup plus vaste, alors que, dans le même temps, les industries vertes, comme les énergies renouvelables, pourraient être au cœur de la transformation économique. IRENA estime que si elle est associée à une série de mesures appropriées, la transition structurelle des combustibles fossiles vers un système basé sur les énergies renouvelables en Afrique pourrait augmenter le PIB de 6,4 %, l’emploi de 3,5 % et l’indice de bien-être de 25,4 % d’ici 2050.
Un besoin de financement adéquat et abordable
Il est de plus en plus évident que les énergies renouvelables peuvent constituer une alternative abordable aux combustibles fossiles et ainsi catalyser le développement des économies africaines. Pourtant, alors que l’énergie devient moins chère, le coût du capital2 reste élevé en Afrique. L’obtention d’un financement adéquat et abordable constitue donc un obstacle majeur au développement des énergies renouvelables en Afrique.
Malgré les grandes promesses de la transition énergétique, l’Afrique n’a reçu que 2 % des 2 800 milliards de dollars d’investissements mondiaux dans les énergies renouvelables au cours des deux dernières décennies. Selon l’IRENA, l’Afrique aurait besoin d’un investissement annuel d’environ 70 milliards USD dans des projets d’énergie renouvelable jusqu’en 2030 pour réaliser la transition énergétique.
Tableau 1. Investissement global dans les énergies renouvelables en Afrique et dans le monde, 2000-2020
Milliards d’USD, valeur actuelle 2020
Source: Renewable energy market analysis: Africa and its regions, IRENA
Une des raisons est que le coût du capital dans les pays africains peut être beaucoup plus élevé que dans d’autres régions du monde, car l’investissement en Afrique comporte généralement un risque3 plus élevé. Ainsi, du fait des investissements qui sont limités et coûteux en Afrique, le coût total de l’électricité généré par les énergies renouvelables n’est finalement pas forcément moins cher que dans des régions aux conditions naturelles pourtant moins avantageuses comme en Europe. En réponse, de multiples politiques de réduction des risques et mécanismes de financement ont été mises en place au niveau national, régional et continental pour stimuler les investissements dans les infrastructures. Par exemple, la Banque africaine de développement travaille avec les principales institutions mondiales de financement du développement pour mettre en place une plateforme de co-garantie mutualisée afin de réduire les risques d’investissement et de faciliter les projets dans le cadre du Forum d’investissement en Afrique.
Rejoignez notre effort
En tant qu’ONG, TPSF met à profit son expertise et ses ressources dans le domaine des travaux publics pour réaliser des projets d’infrastructure dans les pays africains. Grâce à nos partenaires locaux, nous sommes en mesure d’identifier les besoins locaux spécifiques et de formuler des projets correspondants pour répondre à ces besoins. A Andriatsemboka, à Madagascar, dans le cadre de notre partenariat avec l’Association des Ingénieurs pour le Développement des Énergies Renouvelables (AIDER), nous prévoyons de renforcer le centre hydroélectrique existant et d’augmenter sa puissance pour passer de 75 kW à 180 kW et également de mettre en place une solution décentralisée nommée Café Lumière pour la population des villages éloignés qui ne sont pas connectés au réseau. Un Café Lumière est un petit centre d’alimentation électrique, qui répond aux besoins de recharge du voisinage grâce à des panneaux solaires installés sur le toit.
Aujourd’hui, près de 60 millions de personnes en Afrique ont accès à l’électricité grâce à des solutions non raccordées au réseau, et ce nombre augmente chaque année. Que ce soit en exploitant davantage de sources d’énergie renouvelables telles que les parcs solaires et éoliens et en les connectant au réseau, ou en déployant des solutions décentralisées telles que les micro-réseaux, nous avons hâte de voir les pays africains atteindre leurs objectifs d’accès à l’énergie grâce au déploiement des énergies renouvelables, et nous sommes honorés de participer à ces efforts.
[1] L’Agence internationale de l’énergie définit les actifs irrécupérables comme «les investissements qui sont réalisés mais qui, avant la fin de leur vie économique, ne sont plus en mesure d’apporter un retour économique, à la suite de l’évolution du marché et de l’environnement réglementaire.
[2] Le taux de rendement requis du capital.
[3] Changements politiques et réglementaires, expropriation, instabilité macroéconomique et risques de change, etc.
Xiaosu WANG